Analyse du portrait officiel par Gérard
- HistoriaMag
- 13 févr. 2019
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 févr. 2019

Napoléon Bonaparte, premier Empereur des Français, a œuvré dans bien des domaines durant son règne, aussi pourrions-nous penser que l’art sous l’Empire est un sujet secondaire. Cependant, la manière dont Napoléon Bonaparte a tenu à se présenter dans les représentations officielles peut nous en dire long sur son règne. Alors, s’est-il présenté en héritier du passé, ou en souverain nouveau dans la représentation officielle ?
Étudions tout d’abord les symboles, dans une des plus célèbres représentations de l’Empereur, à savoir le Napoléon Ier, empereur des Français, par François Gérard. Le tableau, haut de deux mètres sur près d’un et demi, est une commande de Napoléon lui-même pour l’hôtel du ministre des relations extérieures. Il est en cela une représentation claire de l’image que l’Empereur veut donner de lui à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Empire.
Le portrait, en pied selon la tradition du portrait officiel royal, montre l’Empereur en grand costume de sacre. La posture, debout, jambe gauche en avant, regardant le spectateur, connote force, assurance et noblesse. Napoléon veut ici faire figure de souverain majestueux, mais aussi montrer qu'il a accédé au pouvoir seul.
La tunique de satin blanc, ses broderies qui mêlent ici des branches de laurier, de chêne et d’olivier, sont autant de symboles rappelant la Rome antique. La couronne de laurier également, que Napoléon est le seul dirigeant de France à avoir jamais porté en représentation officielle, le place clairement dans la lignée des empereurs romains.
Il porte un grand manteau d’hermine, mais la pourpre impériale a remplacé le bleu monarchique, et les abeilles ont remplacé la fleur de lys. Ces insectes, qui ornent le manteau et le velours bleu qui recouvre l’estrade, rattachent le souverain aux origines de la France. En effet, cet emblème était celui de Childéric Ier, père de Clovis. Plus ancien emblème des rois de France, puis délaissée, l’abeille devient l’un des emblèmes du Premier Empire.
Napoléon porte autour du cou le collier de la Légion d’honneur. Créée le 29 floréal an X (19 mai 1802) pour récompenser les services civils et militaires, la Légion d’honneur emprunte sa dénomination à la Rome antique. Le motif central composé du chiffre de Napoléon, le N, est entouré d’une couronne de lauriers et supporte la croix de la Légion d’honneur, une étoile à cinq branches à pointes pommelées, émaillée de blanc, avec en son centre le profil de l’Empereur, le tout surmonté de la couronne impériale. Ce collier n’est pas sans rappeler le collier de l’ordre du Saint Esprit, porté par les rois de France. Ce symbole-là est donc nouveau, mais s’inspirant du passé.
La main de justice et l’orbe crucigère sont déposés sur un coussin de velours bleu à droite de Napoléon. Surmonté d’une croix dans la tradition impériale germanique, le globe symbolise la domination universelle. La main de justice quant à elle symbolise le pouvoir de rendre la justice, elle est un des symboles du pouvoir monarchique depuis le XIIème siècle. Ces deux regalia de l’Ancien Régime étaient notamment utilisés dans la cérémonie du sacre, et leur présence dans ce tableau légitime celui de Napoléon. Toutefois, ces regalia sont placés au fond du tableau, au profit des “honneurs” impériaux :
Napoléon porte un sceptre, dans la tradition des portraits d’apparat, mais y apporte sa marque, en remplaçant la traditionnelle statuette de Charlemagne par l’aigle impérial, qui n’est pas sans rappeler encore une fois l’Empire romain, mais peut également être associé à l’aigle carolingien. En tout état de cause, l’oiseau, symbole de victoire, devient le premier symbole de l’Empire et figure donc au sommet du sceptre, symbole de pouvoir.
Les lourdes tentures de velours, l’estrade, le manteau doublé d’hermine, et le trône ne sont pas sans rappeler le faste de l’Ancien Régime. Toutefois, le trône est marqué du chiffre de l’empereur, un grand N entouré de lauriers, symbole napoléonien des plus évidents.
Ainsi, ce portrait de Gérard, choisi comme portrait officiel, montre bien que Napoléon Bonaparte avait compris comment mettre l’art au service de sa légitimité. Élevé au pouvoir par la Révolution, il rompt avec certaines traditions iconographiques de l’Ancien Régime, mais en conserve bien des aspects, puisant ses inspirations dans toutes les époques de l’Histoire de France et d’Europe. Trouvant un équilibre entre réalisme et sacralité, Gérard a su déjà, par ce portrait, traduire toutes les ambiguïtés d’un règne : rupture et continuité, autocratisme et légitimité dynastique.
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